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Il y a un an, 15 morts dans un brasier sur l’autoroute A10
L’Humanité — Vendredi 11 Novembre 1994
Le 10 novembre 1993, un violent carambolage dans lequel étaient impliqués plusieurs camions bouleversait et interrogeait la France. Le débat sur les moyens de transport était ouvert. Un an après, le gouvernement continue à privilégier la route.
Une cérémonie commémorative a été organisée, jeudi, à Mirambeau (Charente-Maritime), un an après le carambolage de l’A10, entre Paris et Bordeaux, qui a fait, le 10 novembre 1993, 15 morts et 55 blessés. Une messe, qui a réuni quelque 200 personnes, parmi lesquelles des rescapés, les familles de victimes, ainsi que sauveteurs et gendarmes, a été célébrée à 11 heures en l’église de Saint-Martial-de-Mirambeau, village où avaient été rassemblés les corps après l’accident. Les rescapés et familles de victimes se sont ensuite rendus sur les lieux du drame. Une plaque commémorative portant l’inscription «Aux victimes de l’accident du 10 novembre 1993» a été déposée, ainsi que plusieurs gerbes de fleurs, dont une du ministre des Transports et une autre du préfet de la Charente-Maritime. Après la cérémonie, Me Jacques Vincens, l’avocat de l’Association de défense et de soutien aux victimes et familles de victimes de l’accident de l’A10 (ADVIFA), a annoncé qu’une cellule constituée de 6 à 7 psychologues allait être mise en place au sein de l’ADVIFA afin de venir en aide aux «personnes qui souffrent encore dans leur chair et dans leur tête». Il a également déclaré qu’il allait proposer l’intégration d’une telle cellule dans le plan ORSEC, déclenché en cas de catastrophe ou d’urgence collective. «Un halo rougeâtre, comme une cloche de lumière. Un enchevêtrement de voitures carbonisées. Et puis l’odeur... insoutenable.» Un an après, rescapés et secouristes sont toujours sous le choc et ont en mémoire cette vision de cauchemar. Ce jour-là, à 19 h 30, la circulation est dense. Il pleut. A la hauteur de Mirambeau, la fumée qui s’échappe d’un camion stationné sur la bande d’arrêt d’urgence provoque un accident en chaîne, mêlant 46 véhicules légers et 6 ensembles routiers. Le feu gagne la plupart des voitures. Un gigantesque brasier s’étend sur 150 mètres d’autoroute. Les sauveteurs auront les pires difficultés à extraire les victimes des tôles froissées et calcinées. Au point que le bilan de la tragédie ne pourra définitivement être établi que le surlendemain. L’identification des victimes prendra plusieurs jours. Le 13 novembre, deux conducteurs de camion sont mis en examen pour homicides involontaires: Raymond Ramirez, dont la remorque s’est mise en travers de la chaussée lorsqu’il a dû freiner, et Mariusz Pawlowsky, un chauffeur polonais qui conduisait le dernier poids lourd, celui qui a percuté par l’arrière une file de voitures déjà immobilisées ou accidentées. Un an après, le dossier est au point mort. L’instruction, qui a été confiée à Dominique Guiraud, juge d’instruction à Saintes, est suspendue à la remise du rapport des experts dont les conclusions étaient attendues au printemps, puis repoussées pour être transmises, peut-être, au début de 1995. Ces experts doivent décrire ce qui s’est passé, l’ordre des chocs, leur force et surtout la cause de l’incendie qui constitue la particularité de cet accident. Leur travail consiste notamment à désosser chacun des véhicules pour établir la résistance mécanique et l’énergie cinétique afin de déduire la vitesse. Quelques heures après l’accident, le ministre des Transports avait, en effet, hâtivement bouclé l’enquête. Selon lui, la cause du carambolage était la vitesse. Un peu comme si les automobilistes avaient volontairement choisi de mourir à Mirambeau. «Il y a un problème national qui est en chacun de nous. Nous nous transformons en prenant le volant. Cela peut conduire à une catastrophe de ce genre», avait-il dit. Mais l’émotion dans le pays avait permis d’ouvrir en grand le dossier des transports et de leur sécurité dans notre pays. La question, ni technique ni utopique, appelait, en effet, une réponse politique: celle d’un choix de civilisation. Un an après, le ministre a apporté la sienne. Celle qui consiste à continuer à privilégier la route au détriment des autres moyens de transports, en décidant de lancer un programme autoroutier sur 3.000 nouveaux kilomètres, et en engageant la SNCF à supprimer des liaisons, des gares, ou des ateliers de maintenance, comme à Vitry, dans le Val-de-Marne. Et, un an après, le ministre en est encore au stade des effets d’annonce. Il prépare, a-t-il précisé, des mesures destinées, selon lui, à éviter de tels accidents. Un projet de loi viserait à transformer de contraventions en délits les excès dépassant de plus de 50 km/h les vitesses autorisées, et le débridage des limiteurs de vitesse ou des chronotachygraphes installés à bord des camions. Par ailleurs, sur certains itinéraires autoroutiers les plus chargés, la circulation des poids lourds, déjà interdite le week-end, le sera aussi les jours de forte circulation. Mais des dérogations seront toujours possibles. En outre, à partir du 1er mai 1995, les poids lourds devront avoir des réservoirs de carburant renforcés, offrant une meilleure résistance aux chocs. Un an après, les rescapés et les familles des victimes ont cependant l’impression d’avoir été oubliés. Yann Méheux, le président de l’ADVIFA a annoncé son intention d’engager une action en référé en vue d’obtenir des indemnisations à titre provisoire pour les victimes. Celles-ci se heurtent toujours aux compagnies d’assurances et certaines se sont même vu pénaliser d’un malus.
DOMINIQUE BEGLES.
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