Hommage à Geneviève Le Cacheux Mais où sont les enfants ? s’interroge-t-on parfois dans le monde de la littérature enfantine. Voici une question que l’entourage de Geneviève Le Cacheux ne s’est jamais posée. Les enfants étaient bel et bien au centre de sa vie. « À l’enfant est dû tout respect » écrivait Paul Hazard dans son bel ouvrage. Cette maxime, elle l’a mise en oeuvre dans sa famille, à la bibliothèque, partout où il lui a été donné de travailler. À preuve, son désir de les écouter, de les aider à vivre pleinement leur enfance, avec notamment des lectures de la meilleure qualité.
Geneviève Le Cacheux, une grande figure des bibliothèques publiques vient de nous quitter. Elle a participé activement à la belle aventure de La Joie par les livres.
Alors qu’en 1964, dans notre bureau de Montparnasse, nous préparons la bibliothèque des enfants de Clamart, elle nous rend visite. Nous l’accueillons avec enthousiasme. Nous partageons la même philosophie. Nous avons emprunté pour nous former, les mêmes chemins en France et aux États-Unis. La fondatrice mécène apprécie son esprit ouvert à l’innovation, son désir d’ouvrir la profession sur le monde et sa connaissance des réalités françaises. Celle-ci s’appuie sur sa propre expérience à Caen où elle est depuis 1958, responsable du coin jeunesse de la bibliothèque municipale, d’abord dans un baraquement de fortune, puis dans « le couloir des classes » du Lycée Malherbe.
Elle rejoint très vite notre groupe de lecture qui se réunit chaque mois. Elle participe ainsi au Bulletin d’analyses de livres pour enfants, appelé plus tard La Revue des Livres pour Enfants. Elle ne tarde pas à venir s’installer à Paris, dans un appartement minuscule où elle assure seule la rédaction de la revue. Confiante en leurs jugements, elle engage les bibliothécaires de tous les coins de France à participer aux tâches d’analyses, à la rédaction de fiches critiques. Conditions requises : être proche des enfants, attentif à leurs lectures, soucieux de qualité. C’est ce qui fait alors l’originalité de cette publication. Dans son petit appartement sont rassemblés les ouvrages envoyés par les éditeurs. Ainsi, naît modestement ce qui deviendra l’actuel Centre national de la littérature pour la jeunesse aujourd’hui intégré à la BnF. Elle en a consolidé les fondations avant de revenir à Caen pour y créer la magnifique bibliothèque municipale qui ouvrira en 1971.
Femme de forte conviction et de grande humanité, elle a un sens aigu de la vocation des bibliothèques : elle est la première dans la profession à donner une place de choix aux publics oubliés. Première à ouvrir au sein d’une bibliothèque publique en tous points remarquable, un très large espace pour les enfants, animé par une équipe fortement motivée. Première à créer une bibliothèque sonore à l’intention des malvoyants ainsi qu’un important service audiovisuel. Première à nouer des liens avec un centre de détention. Les techniques les plus sophistiquées sont mises au service de tous. Tout ceci est pensé, préparé dès les années 60. Femme remarquable, discrète, courageuse, Geneviève Le Cacheux ouvre des voies aujourd’hui empruntées par les bibliothèques les plus dynamiques.
En avance sur son temps, elle a, professionnellement, rencontré bien des difficultés. Elle n’en est que plus admirable. Le monde du livre pour enfants perd une alliée de toujours. Personnellement, je pleure une amie.
Geneviève Patte
Source :
La Revue du livre pour enfants, 2008, n° 244, p. 182.